De l’imprimerie, des livres, des billets de banque et du papier toilette

Les origines de plus de 250 musées de l’imprimerie et musées connexes

La chronologie des musées de l’imprimerie de l’AEPM (ongoing timeline of printing museums) recense désormais les dates de fondation de plus de 250 musées et organisations connexes dans le domaine du patrimoine graphique. Elle se veut un outil de recherche pour quiconque s’intéresse à la manière dont les institutions du patrimoine de l’imprimerie se sont développées depuis le milieu du XIXe siècle.

Depuis cinq ans, l’AEPM dresse la liste des dates de fondation des musées dans le domaine du patrimoine graphique : musées de l’imprimerie, des arts du livre, de la gravure et des journaux ; musées du lettrage, de la typographie et du graphisme ; musées techniques, industriels et généralistes avec des sections d’imprimerie ; bibliothèques et archives avec des expositions permanentes de livres et autres documents imprimés ; musées de l’imprimerie clandestine et de l’impression textile ; musées des cartes à jouer, des cartes géographiques, de la publicité imprimée et de l’emballage ; musées consacrés aux inventeurs des procédés d’impression, aux imprimeurs et aux graphistes illustres ; musées des photocopieurs et des bandes dessinées ; papeteries historiques, les musées de la fabrication du papier et même un musée du papier hygiénique. Une véritable liste à la Prévert!

L’idée de départ était de se faire une idée de l’origine des musées de l’imprimerie, de la date de leur création et de leur raison d’être. Au départ, les données étaient maigres car peu de musées de l’imprimerie publient des catalogues, des livres ou des articles consacrés à leur propre histoire. De même, jusqu’à très récemment, la plupart des sites web des musées de l’imprimerie avaient tendance à se concentrer sur les installations et les heures d’ouverture, sur les articles phares des collections  et sur ses expositions et ses activités de médiation. Ce n’est qu’au cours des trois ou quatre dernières années qu’ils ont commencé à inclure des informations sur leur création et l’origine de leurs collections.

En tant qu’association de musées de l’imprimerie, nous avons d’abord concentré nos enquêtes sur les musées de l’imprimerie …comme cela semble logique. Mais est-ce vraiment si logique ? Car il nous est rapidement apparu qu’il est très difficile de définir ce qu’est un musée de l’imprimerie et ce qui le distingue des nombreux autres types de musées qui s’intéressent au patrimoine graphique. Nous avons donc élargi notre champ de vision pour inclure tout le monde, des musées Gutenberg de Mayence et de Berne au musée du papier hygiénique Hakle de Düsseldorf, du musée d’art du livre à Łódź au musée des billets de banque de la Banque Ionienne à Corfou, et du Kékfestö Múzeum de l’impression textile indigo à Pápa au Musée national technique de Prague.

Avec l’aide de nombreux collègues du monde des bibliothèques et des musées[1] nous avons pu retrouver plus de trois cents imprimeries et musées connexes actuellement opérationnels, plus une centaine de musées qui ont fermé leurs portes, laissant souvent très peu de traces de leur existence passée. Et parmi tous ces musées, nous avons jusqu’à présent pu identifier les dates de fondation d’un peu plus de deux cent cinquante.

Même au premier coup d’œil, la liste est intéressante à lire car elle trace le chemin de la reconnaissance croissante de la production graphique comme une partie importante de notre patrimoine culturel. Le mouvement démarre lentement avec seulement sept musées identifiés dans la seconde moitié du XIXe siècle. À cette époque, leurs expositions étaient dominées par les livres et les estampes, mais avec une présence lentement croissante des artefacts de la typographie et des procédés de gravure. Le mouvement s’est accéléré dans la première moitié du XXe siècle avec vingt-cinq nouvelles organisations supplémentaires au moment de la Seconde Guerre mondiale. La gamme des techniques d’impression et des produits imprimés s’élargit à cette époque, reflétant le fait que le livre a définitivement cessé d’être le principal moteur de la production d’imprimés, ayant été dépassé par les journaux, les magazines, la publicité et un flux incessant d’imprimés éphémères alimentant les besoins de l’industrie et du commerce.

L’immédiat après-guerre a vu une nouvelle accélération de la création de musées de l’imprimerie et d’autres musées consacrés au patrimoine graphique : quarante-sept pour être exact (tous ces chiffres cités ici sont bien sûr provisoires car il reste encore beaucoup de musées à identifier). La plupart d’entre eux datent des années 60 et 70, créés en réaction à la disparition de l’imprimerie typographique qui cédait sa place à l’impression offset, au photocomposition, à l’électronique et à l’informatique qui se généralisaient alors. Mais ce n’était rien quand on le compare avec les deux dernières décennies du siècle qui ont vu la création de plus de cent nouveaux musées grâce, en grande partie, aux efforts de gens de métier qui cherchaient à sauver le patrimoine typographique de la casse. Malheureusement, durant cette période, la plupart des développements clés dans le domaine de la composition photographique et informatique et de la photogravure électronique ont été négligés et ont été irrémédiablement perdus pour la postérité.

Depuis le début du XXIe siècle, l’enthousiasme pour les nouveaux musées de l’imprimerie s’est quelque peu apaisé, avec ‘seulement’ soixante nouveaux musées entre 2000 et 2020. Cela dit, les expositions permanentes et temporaires de livres et autres documents imprimés de toutes sortes sont devenues une caractéristique établie dans les bibliothèques, les archives et les collections spéciales des universités à une échelle impensable il y a cinquante ans, lorsque de telles activités étaient un luxe que seules les grandes bibliothèques patrimoniales pouvaient se permettre. Il est intéressant, bien que déprimant pour quiconque s’intéresse au développement des institutions du patrimoine graphique, de noter que l’histoire des bibliothèques—même la plus récente—ne mentionnent guère les expositions qui restent pour l’instant le domaine exclusif des manuels de bibliothéconomie préoccupés par le fonctionnement quotidien des bibliothèques, ainsi que d’un petit nombre de chercheurs du monde du graphisme qui, ces dernières années, ont vivement débattu des possibilités et des limites de la présentation des objets graphiques dans un contexte institutionnel.

Les paragraphes précédents n’offrent qu’un aperçu très sommaire de l’évolution de la topographie des institutions du patrimoine graphique depuis le milieu du XIXe siècle, mais il est à espérer que le Ongoing timeline of printing museums de l’AEPM suggérera d’autres axes de recherche.

Enjoy!

 

[1] Nous remercions tout particulièrement Jürgen Wegner, rédacteur en chef du Shadowland Newsletter, basé à Sydney, qui a inlassablement passé au crible ses vastes archives à la recherche de traces de musées pertinents, notamment en Europe de l’Est et en Australie.