Papiers et papier : deux expositions à l’Atelier-musée de l’imprimerie

Le papier est « l’éphémère et l’impermanence, le sens et l’insignifiance, le précieux et le jetable, la mémoire et l’oubli ». Il n’est ni support, ni surface… il est mystère. Souple, indompté, fragile, étonnamment robuste, surprenant… le matériau papier habille l’espace, parfois discrètement, parfois pleinement.

À travers deux nouvelles expositions et la programmation associée—ateliers et visites thématiques, rencontres et spectacle…—l’Atelier-musée de l’imprimerie « donne la parole au papier  », matériau et matière d’une mémoire individuelle et collective.

Kami no Keshiki
Paysages de papier

Une exposition qui propose de découvrir le papier autrement, à partir des œuvres de Miki Nakamura et Jean-Michel Letellier et qui invite, incontestablement, à la rêverie, à la contemplation et à la méditation…

Jean-Michel Letellier fabrique et entremêle les fibres réduites en pâte, dessine avec elles, revisite l’espace de la page, faisant frissonner la matière. Au fil du temps et de ses voyages, il développe sa propre technique de fabrication du papier. Il crée de grands papiers, jusqu’à trois mètres cinquante de long, sur des écrans de sérigraphie à maille fine, puis, tandis que la feuille s’égoutte lentement, il appose et superpose la matière, stratifie et enchâsse.

Naissent alors de véritables paysages de papier, entrainant les spectateurs dans un voyage imaginaire de montagnes enneigées, de nuages cotonneux et de motifs graphiques et épurés qui interpellent tant par leur matérialité que par leur sensorialité.

Une passion pour la matière et le matériau papier qu’il partage avec Miki Nakamura. Les deux artistes se sont rencontrés sur l’île japonaise de Shikoku, dans le célèbre atelier Awagami Factory, réputé pour sa fabrication traditionnelle du papier, le washi. Les qualités prêtées au washi se retrouvent dans l’origine même du mot : « Wa », synonyme d’harmonie et de paix, « Shi », homonyme du mot divinité.

Miki Nakamura cuit, blanchit, étire le liber (fibre)… puis recompose, moule et forme cette matière végétale. Patiemment, elle détache et entremêle, façonne et sculpte la fibre, fait surgir des ombres et dessine des dentelles d’une grande finesse… Les créations de Miki Nakamura, originaire d’Hiroshima, offrent une représentation lyrique d’un monde de cendres d’où surgit le vivant : fleurs, papillons, petits animaux marins… véritable ode à la nature.

Dans cette nouvelle exposition, Miki Nakamura nous offre son interprétation d’une étonnante histoire, celle du « gyotaku ». Les pêcheurs japonais, afin d’immortaliser leurs prises et de détenir une preuve de leurs exploits, recouvraient le poisson d’encre avant de l’appliquer sur un papier fin, de le frotter avec la main pour obtenir une empreinte pouvant être réhaussée de couleurs.

Cette exposition artistique est aussi l’occasion d’évoquer l’histoire de la fabrication du papier tant artisanale qu’industrielle, de se rappeler les gestes, les pratiques, les savoir-faire à travers le monde, notamment l’Orient et de découvrir les différents champs d’application et usages de la matière et du matériau papier.

En France, on compte aujourd’hui une vingtaine de sites papetiers et une dizaine d’artisans, dont la production oscille entre cinq cent kilogrammes et une tonne par an.  À l’atelier-musée de l’imprimerie, la pratique, le geste, la transmission des savoirs et des savoir-faire occupe une place centrale.

Un morceau de papier
A piece of paper

Cela peut paraître si anodin, si suranné à l’ère du numérique et pourtant, le papier continue à être un medium pour informer, communiquer, transmettre et partager… il reste l’incontournable complice de l’écrit et de l’image. Une vision partagée par Drew Matott, initiateur de Peace Paper Project, activiste du papier, qui a choisi de placer la fabrication du papier au cœur d’une démarche sociale et solidaire.

« J’ai commencé à fabriquer du papier pendant mes études de premier cycle en arts graphiques. Après avoir appris que l’on pouvait fabriquer du papier à partir de chiffons, je suis aussitôt allé dans mon placard et j’ai commencé à découper mes vieux vêtements. Cela m’a fait prendre conscience que le matériau que je transformais en papier avait un contenu et une histoire et qu’il pouvait également donner aux impressions que je faisais un support original voire unique. » Drew Matott, artiste papetier américain, installé à Hambourg, en Allemagne.

Très tôt, Drew Matott utilise le processus de fabrication du papier comme forme d’intervention dans l’espace public, grâce à un dispositif portatif ingénieux : un bac, une roue et un vélo. Il développe alors sa propre technique, appelée « Pulp painting », mêlant fabrication du papier et arts graphiques.

Le « pulp printing » ou impression avec des pâtes à papier consiste à pulvériser des fibres très raffinées et pigmentées à travers un pochoir préparé en sérigraphie, colorant ainsi la feuille tout juste fabriquée. Apparaissent alors des œuvres qui empruntent à l’esthétique du street-art et dont le caractère brut, textile, donne à voir et à sentir l’âme du papier.

Le matériau (papier) issu de la matière travaillée (pâte) venue elle-même du matériau (végétaux, vieux papiers, chiffons…) s’inscrit dans un cycle sans fin où le travail de recyclage de la matière ouvre sur une liberté infinie. C’est autour de cette démarche artistique, engagée et solidaire que Drew Mattot a réuni un collectif d’artistes pour réaliser des projets d’édition ou encore organiser des ateliers auprès de publics, parfois en difficulté (réfugiés, victimes de violence…).

Papiers faits main et imprimés à l’aide de techniques proches de la typographie ou de la sérigraphie, l’exposition A piece of paper présente le travail de Drew Matott et plus largement de Peace Paper Project et des communautés associées à ce travail.