Appel à participation

Rencontre :
La couleur au défi du multiple

30 et 31 mai 2017
Département d’arts plastiques de l’Université Jean Monnet
Université de Saint-Étienne (CIEREC)

« Les techniques industrielles de l’image — imprimerie, photographie, cinéma, télévision — excellent dans la reproduction des contours, des rapports de clarté et d’ombre (des valeurs), voire des couleurs en aplat, mais elles sont infirmes dès qu’il s’agit des couleurs complexes. D’où trois solutions : se cantonner dans une seule couleur neutre ; réduire l’image à quelques aplats juxtaposés ; s’approcher des couleurs complexes par la superposition de couleurs simples. Dans les trois cas, le chromatisme est infidèle à l’original . » (Henri Van Lier, « CHROMO, esthétique », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 12 juillet 2016. http://www.universalis.fr/encyclopedie/chromo-esthetique/.)

Si la reproduction industrielle et la diffusion massive des images en couleur qui se sont accélérées de façon vertigineuse depuis un demi-siècle ont profondément changé notre paysage visuel ainsi que notre rapport à l’oeuvre d’art, les techniques qui les permettent semblent néanmoins, comme le suggère ci-dessus Henri Van Lier, encore très imparfaites : la couleur, ce phénomène instable et insaisissable entre tous, reste aujourd’hui encore un réel défi à la reproduction des images. Or, à une époque où les artistes sont confrontés à un devoir de communication grandissant et où ils ne peuvent plus échapper au problème de la reproduction et de la diffusion de leurs oeuvres, il nous a semblé intéressant de nous questionner sur l’attitude des artistes, techniciens, historiens ou critiques d’art face aux écarts induits par la traduction chromatique des oeuvres originales à leurs copies.
Dans le cadre de l’axe transversal 1 du programme scientifique du CIEREC intitulé « L’oeuvre multiple », plusieurs journées d’études se proposeront d’interroger la place de la couleur dans une création contemporaine fortement marquée par les questions liées au multiple. La réflexion s’attachera aussi bien aux oeuvres multiples par nature, comme l’estampe, la photographie ou le cinéma, qu’à la reproduction et à la diffusion photographique et/ou numérique d’oeuvres « uniques » ou encore au design, aux arts appliqués et à la production industrielle d’objets.

Les deux premières de ces journées d’études se tiendront les 30 et 31 mai 2017 dans le département d’arts plastiques de l’Université Jean Monnet.

La journée du 30 mai, dirigée par Laurence Tuot, sera consacrée à la question de la couleur dans l’art de l’estampe après 1945.

La journée du 1er juin dirigée par Charlotte Limonne, aura pour sujet la teinture.

La gravure en couleur de 1945 à nos jours

Claude Roger-Marx, en conclusion de son ouvrage La gravure originale au dix-neuvième siècle, édité en 1962, met en garde les graveurs qui prétendraient sortir de ce qu’il nomme le « royaume austère du noir et blanc ». L’auteur évoque avec inquiétude « un temps où la couleur, dont avaient su se garder prudemment la plupart des peintres-graveurs, tend à fasciner le public ! » (Somogy, 1962, p.242.)

Il est vrai que le paysage de la gravure après 1945 se trouve profondément bouleversé. Sous l’influence, notamment, des expérimentations novatrices de Stanley William Hayter, une explosion de couleurs criardes, violentes, et même fluorescentes fait soudain son entrée dans cette discipline « discrète et modeste » qui, toujours selon Roger-Marx, avait jusqu’alors l’habitude de confier « ses secrets à voix basse ». Ainsi, les recherches plastiques issues du courant surréaliste, de l’art minimal ou encore de l’abstraction renouvellent de façon spectaculaire, par leur usage de la couleur, le langage de l’estampe dans la seconde moitié du
XXème siècle.

Cette histoire de la gravure en couleur ne semble cependant pas avoir fait l’objet d’une réflexion globale en France. Comme l’écrit Florian Rodari, « une certaine résistance persiste à l’encontre de la couleur parmi les connaisseurs de la gravure (…). Questionnez un amateur d’estampes. Il vous répondra toujours que la couleur est superfétatoire, séduction tout juste bonne à satisfaire l’oeil, incapable de jouir d’une richesse fournie par l’essentiel. » (Florian Rodari, L’Anatomie de la couleur, l’invention de l’estampe en couleurs, BnF, 1996, p.10.) Ainsi, chez des auteurs de référence comme Jean Bersier ou Michel Terrapon, l’estampe en couleur est de façon récurrente décrite comme une « tricherie » ou une « sucrerie insupportable ». Cette journée d’études a donc pour objectif de pénétrer de plain-pied dans les inquiétants plaisirs de la couleur afin de proposer un état des lieux des expériences chromatiques dans le domaine de l’estampe (taille-douce, taille d’épargne et lithographie) après 1945 et jusqu’à nos jours, en France comme à l’international.

Face à la production et la circulation massive des images en couleurs permises par les nouvelles techniques industrielles, la gravure traditionnelle se trouve dans la deuxième partie du XXème siècle définitivement dépossédée de sa fonction de reproduction et les contraintes techniques liées à son statut de multiple, terriblement exigeantes dans le domaine de la couleur, sont à repenser entièrement. Plusieurs grandes tendances semblent alors se dessiner chez les graveurs, qui définiront les différents axes de notre réflexion.

Nous pourrons tout d’abord étudier la manière dont certains artistes mettent en avant, durant cette période, la matérialité et les textures propres à l’estampe, et en premier lieu, pour la taille-douce et la taille d’épargne, ses qualités d’impression en relief. En réaction au déferlement d’images lisses et superficielles de l’industrie médiatique, certains artistes semblent en effet travailler avec obsession les qualités haptiques de leurs gravures, la couleur y étant alors pensée dans ses trois dimensions, comme une matière épaisse, prégnante, débordante et parfois incontrôlable (Pierre Soulages, Bertrand Dorny, Frank Stella, Roberto Matta, Carroll Dunham…).

Un deuxième axe d’étude pourrait concerner les rapports des graveurs de cette période avec la technique et les gestes traditionnels, voire artisanaux de la gravure. Si certains vont faire le choix de la virtuosité, de la résistance du support et de la lenteur de l’exécution (Chuck Close), d’autres, au contraire, semblent vouloir mettre la gravure en couleur sur la voie de la spontanéité et de la liberté expressive, quitte à en devoir réinventer les techniques (Stanley William Hayter) ou jouer de la rudesse, de la maladresse ou de l’aléatoire (Jean Dubuffet).

Le caractère incertain des tirages, la spécificité de la gravure comme déploiement d’états successifs et permettant de multiples variations d’encrages en fait également le médium privilégié des artistes travaillant sur les jeux chromatiques sériels issus de l’abstraction ou du Pop art (Josef Albers, Robert Indiana, Jennifer Bartlett,…). La question de la série sera donc sans doute l’un des enjeux importants de cette réflexion autour de la gravure en couleur depuis l’après-guerre.

Nous pourrons également nous interroger, au sein de cette journée de recherches, sur la nature des sujets privilégiés ou induits par la pratique de la couleur en gravure. Si l’abstraction semble souvent privilégiée comme moyen d’envisager la couleur dans sa matérialité et sa puissance pure, on pourra se demander également si la gravure en couleur ne met pas également les artistes en devoir de penser un rapport nouveau à la figuration (Jean Lodge). Enfin, de manière plus générale, il serait intéressant d’étudier la place que tient la gravure chez les artistes travaillant habituellement la problématique de la couleur avec d’autres supports, les contraintes techniques de l’estampe en couleur encourageant parfois ces artistes à une radicalité plus forte ou une ouverture inattendue de leur travail (Ellsworth Kelly, Helen Frankenthaler, Alex Katz,… ).

Les propositions sont à envoyer avant le 15 décembre par courriel au contact suivant : Laurence.tuot@gmail.com