Claviers de composition française: un patrimoine (presque) disparu

De la conception et fabrication des claviers de composition en France pour l’imprimerie traditionnelle, nationale et internationale

Christian Flamant, s’interroge sur la quasi-disparition des claviers qui ont joué un grand rôle dans la transformation des techniques de composition dans les années 1960.

Mais comment se retrouver là où tous les médias, que ce soit dans la presse et/ou internet ainsi que dans les musées spécialisés, occultent, volontairement ou non, toute information et trace objective avec les performances des sociétés françaises en relation avec les imprimeurs et journaux existantes entres les années 1959 à 1971 ? Comment en est-on arrivé là ? Qu’avons-nous occulté, ignoré pour oublier en si peu de temps nos savoirs, nos expériences et compétences en matière de création dans le domaine de l’imprimerie et assimilé !

Nul ne devrait être censé ignorer que les extraordinaires évolutions des métiers de la composition et de l’impression de documents actuels furent en grandes parties liées à des anciennes sociétés futuristes, innovantes mais celles-ci sont mal connues du grand public car celui-ci ne regarde maintenant exclusivement que certains noms semblent-ils prestigieux !

Toutes les nouvelles technologies actuelles ne seraient rien sans les évolutions durant 50 ans

Préalablement, dans le métier des imprimeurs, tout était composé sous la forme dite « chaude ». Les marques comme Linotype, Intertype et Monotype représentaient les composantes de cette forme initiale. Mais les évolutions de ces machines furent lentes car limitées et intimement liées à leurs fonctions mécaniques.

Lumitype 200 phototypesetting machine as used in the late 1950s. (Photo: Musée de l’imprimerie et de la communication graphique).

A partir de 1946, deux inventeurs Français ont complètement changé leur époque par la création de « A à Z » la façon de composer des textes sous formes électriques et électroniques pour en arriver à la composition dite « froide ». La « chaude » était liée à la composition à partir de plomb. La « froide » est liée à la composition directement sur des films ou papiers.

Pour obtenir une composition « chaude » de plus en plus performante, des sociétés ont innovés dans des techniques dites de « Composition déportée à partir de claviers perforateurs de bandes compatibles avec les composeuses au plomb ».

Une multitude de claviers ont été inventés associés aux différentes techniques existantes à ces époques technologiques comme des relais (sous toutes formes), plus tard des transistors, pour arriver aux circuits intégrés, microprocesseurs et autres composants et techniques sophistiqués.

Nous pourrions comparer ces évolutions avec celles des techniques téléphoniques ! Les premiers téléphones ou centraux commutaient les appels grâces à des relais. Puis vinrent des commutations avec des transistors et enfin avec des composants spécialisés !

Les claviers de compositions « chaude » furent conçus par des fabricants innovants. Il faut avouer ici que ceux-ci étaient en majorités anglo-saxons et particulièrement américains. Un des plus connus s’appelait Fairchild. Un matériel de composition mécanique adapté à la composeuse Linotype. Mais cette technologie de matériels a très peu évolué dans le temps jusqu’à sa fin vers 1970.

A partir de cette période une multitude de sociétés se sont emparés du marché, nonobstant les blocages syndicaux des journaux et imprimeries. Un des premiers fabricants français, le dénommé Astier, a déposé des brevets dès 1959 pour concevoir des claviers complémentaires aux Linotype permettant à celles-ci de dégager des meilleurs productivités grâce à la lecture de bandes perforées compatibles et produites séparément.

Pierre Astier (tel est son nom) fut donc un des premiers au monde à le comprendre et a amélioré la technique de la composition dite « chaude ».

Mais légèrement avant, en 1946 en France, deux ingénieurs Français, Messieurs Moyroud et Higonnet (travaillant tous les deux pour la société Française LMT) inventèrent la composition dite « froide ». C’est dire la composition d’un texte directement vers un autre support, le film photographique en l’occurrence. Cette extraordinaire technologie ne fut pas comprise en France (comme d’habitude) et ces deux inventeurs s’en allèrent aux États-Unis d’Amérique pour promouvoir leur invention et produire plus tard celle-ci à très grande échelle. (A partir de 1954).

Là aussi la technologie utilisée à l’époque fut à base de relais, puis de transistors et rapidement des circuits-intégrés et des microprocesseurs. Mais il a aussi fallu très rapidement concevoir des claviers de saisie innovants et économiques adaptés à ces nouvelles technologies, à ces machines de plus en plus sophistiquées et onéreuses.

Des multitudes de sociétés anglo-saxonnes ont elles aussi innovés comme AKI (Automix Keyboard Inc), Télétype, Auto-Perf, Datek (société anglaise) etc.

Mais en France il y a eu la société Astier et plus tard Mincel, (devenue Bouchery&Mincel entre temps). Il faut reconnaitre que ces sociétés anglo-saxonnes furent les plus importantes sur le marché car celui-ci, américain, était immense. Elles vendaient des multitudes de claviers et même au niveau international.

Les sociétés Astier et Mincel devenaient un peu des trublions ipso facto.

Ces claviers français ont permis la saisie de texte de façons intuitives et pratiques. « Efficacité, économie, qualité ». Ces claviers ont été pendant presque dix ans le fer de lance de l’industrie de la composition et de la photocomposition en France.

Malheureusement le Français à la particularité d’acheter du matériel qu’il ne comprend pas car il vient de pays qui ne soucie pas de la langue de Molière. De plus ces matériels Français étaient indésirables en France aux yeux des différents syndicats du livre ou de la presse.

Mais les années 1968 et après n’ont pas simplifiées et encouragées les professionnels à investir Français ! Tout ceci pour terminer au début des années 1971 par la liquidation de la société Bouchery&Mincel !

Actuellement nous ne retrouvons pas trace des différentes générations de claviers Robotype

De cette création il est sorti maints et maints produits comme les Robotype GC 64 – S1 et S2 pour la Lumitype 550 et pour le système BBR, le GC 64 R pour la composition chaude (Linotype et Intertype), le Compact 64 (clavier sans machine à écrire), les versions GC64 – 713, pour les Lumitype-Photon modèles 713-5 et 10 Textmaster, puis vint les séries modernisée Keycomp 5 et 10 pour ces mêmes produits et conçu initialement pour le marché Américain et la version Keycomp 5-AM pour les machines AM-725 d’Adressograph Multigraph. Plus de 800 machines fabriquées !

Avec des idées foisonnantes et d’énormes compétences, les différentes équipes Astier-Mincel créèrent de multitudes claviers de saisie modernisés suivant l’évolution des technologies de l’époque (transistors, puis circuits intégrés, etc.). En dernier lieu ce seront les Robotype 1021 et 1021 RN pour le traitement de texte avec mémoires à ferrites, des mélangeurs de bandes performants, des claviers destinés aux agences de presse, etc….

Mais toutes ces machines semblent avoir disparues ! Votre serviteur conserve de part lui quelques photos et petits sous-ensembles, quelques plans et beaucoup de souvenirs. Comment penser que tout peut disparaître sans laisser une trace dans l’histoire de l’imprimerie. Ayant eu moi-même une société pour la création et d’entretien de matériel pour la composition et photocomposition, j’ai, à la suite d’un arrêt d’activité, cédé trois claviers de composition à bande perforée et magnétique au musée AMI nouvellement créé à Malesherbes (France).

Je souhaite que ce musée puisse avoir aussi des matériels Robotype pour parfaire la liaison qui doit exister entres les machines à composition chaude ou froide et notre époque moderne afin que toutes générations puissent comprendre comment tout cela à évoluer.

Christian Flamant