« Amis du Musée X » ? De telles mentions en petits caractères figurent souvent sur des catalogues, des affiches ou autres documents de communication des musées. De quoi s’agit-il ? D’une marque de courtoisie ? D’une possibilité de réduction du prix d’entrée ?

Ces groupes de bénévoles sont omniprésents en France. Ils sont inspirés par la passion pour « leur » institution : ce sont des supporters désireux d’être impliqués dans l’action. Les quelques avantages accordés en échange de la cotisation ne sont pas leur motivation essentielle car il s’agit de militantisme culturel et patrimonial !

Le Musée de l’imprimerie a été créé en 1964 par un imprimeur, Maurice Audin, dans la continuité de l’oeuvre de son père Marius, le célèbre historien de l’imprimerie, et avec le soutien de son frère Amable, créateur du musée gallo-romain, également à Lyon. L’association des Amis du Musée de l’imprimerie (AMIL) a vu le jour en 1971 et est restée longtemps l’apanage des imprimeurs et professions graphiques. On a assisté depuis lors à l’élargissement de l’éventail des activités, en collaboration étroite avec la direction et les équipes du Musée.

Un mouvement complexe caractérise cette période de plus de cinquante années, marquée par l’explosion du numérique :

  • décroissance forte de l’industrie de l’imprimerie,
  • croissance du graphisme,
  • implication des utilisateurs, devenus eux-mêmes des imprimeurs-amateurs grâce aux outils de la PAO, du traitement de texte, de la manipulation d’images, etc. L’utilisateur parle maintenant de polices de caractères, de mise en page et il est sensible à la qualité de la publication… allant jusqu’à s’appuyer sur les « règles typographiques »,
  • l’ajout de « communication graphique » à « imprimerie » dans la dénomination du Musée a accompagné une évolution majeure et structurante.

Les effectifs des AMIL sont un reflet de cette évolution : moins de professionnels, plus d’amateurs au sens le plus noble, de collectionneurs. Le débat au sein des instances – permanence, bureau, conseil d’administration – est riche de cette diversité.

Apport financier

L’Association a, dès le début, été appelée à participer à certaines dépenses du Musée : expositions, acquisitions, frais de déménagement de matériels, éditions, etc. Les ressources des AMIL sont de deux provenances : les cotisations et les dons financiers. En effet nous nous sommes comportés en collecteurs auprès des individus, des mécènes du monde de l’imprimerie ou extérieurs. La baisse constante des dotations publiques contraint le Musée à des performances acrobatiques et conduit les AMIL a une grande vigilance à l’égard des besoins du Musée. L’Association contribue actuellement, en moyenne, à hauteur de 5 000 € par an. Nous sommes, sur la durée, un des principaux donateurs (hors dons collectés).

Soutien du Musée

L’association est dans une démarche de soutien tous azimuts : nous privilégions la diversité des actions et non la réalisation de « coups » spectaculaires, médiatisés. Les équipes du Musée ont les compétences pour chacune de ces actions mais la charge de travail des collaborateurs limite nécessairement leurs interventions. Nous agissons en complément et concertation, par exemple dans la mise au point avec le Musée d’une commission interne d’acceptation/refus des dons recueillis par les AMIL. Passons en revue quelques réalisations marquantes.

Nous menons une veille permanente sur les ventes, les catalogues, les brocantes, etc. Nos réunions commencent en général par des échanges sur nos « découvertes ».  L’objectif est de repérer des ouvrages rares, en bon état, porteurs d’une histoire et absents des bibliothèques publiques régionales. La direction du Musée consulte des experts puis valide ou non notre intérêt.

Ainsi pour cette édition originale des « Fleurs du mal » illustrée par Matisse, en parfait état (1947, exemplaire 174 d’un tirage de 320) dédicacé au directeur du Mobilier national. Elle répondait à un appel du directeur du Musée, regrettant l’absence de livres d’artiste du XXe siècle dans les collections. Nous l’avons immédiatement achetée.

Pour le plaisir, racontons un peu cette histoire de « livre sauvé ». Matisse a toujours été un admirateur de Baudelaire qu’il avait plusieurs fois illustré. Les Fleurs du Mal représentaient un défi artistique mais il hésitait. Devenu ami de Louis Aragon et de Elsa Triolet ceux-ci l’on encouragé à se lancer, jusqu’à en faciliter l’édition. L’artiste a fait son choix de poèmes, écartant les plus « durs », et il a fait ses dessins. L’été fut chaud, le lithographe les a entourés de papier humide…  Tout a collé. Impossible de faire les tirages. Heureusement Matisse avait fait faire des photos et c’est ainsi qu’on a des photolithographies et non des lithographies directes dessinées par l’artiste sur la pierre. Aragon a rédigé un texte d’explication en fin de livre. Le livre a fait l’objet d’une édition fac-similé en 2016. Il rassemble 33 photos-lithos originales, une eau-forte et 69 dessins (lettrines, culs-de-lampe…).

Un couple de nos « chercheurs de trésors » a trouvé dans une brocante une superbe chromolithographie (19 passages !) de 1840 créée pour le 400e anniversaire de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg et intitulée Typographia jubilans 1840. Le vendeur a choisi d’en faire don au Musée. Et nous avons ensuite acquis un livre, J. B. Hirschfeld. Hundert Jahre einer Leipziger Buchdruckerei, un volume commémoratif célébrant les cent ans de l’entreprise qui a réalisé la chromolithographie, dans lequel est décrite l’histoire de la planche et la manière dont elle a été réalisée.

Parmi nos achats signalons également un ensemble de dix-neuf planches d’Alois Senefelder l’inventeur de la lithographie ; autre exemple, un livre consacré à l’imprimerie Paul Dupont visitée par l’impératrice Eugénie épouse de Napoléon III. Cet ouvrage richement relié lui a été offert en présent et elle a en retour fait un don généreux.

Dans un autre ordre d’idées nous nous sommes livrés à la recherche des traces de quelques-uns des ateliers historiques des imprimeurs lyonnais de la Renaissance, dans le cadre de la valorisation du patrimoine local. Les bâtiments ont en général disparu, les rues ont changé de nom, etc. mais nous avons identifié des endroits où nous souhaitions apposer des plaques de pierre en complément de celles déjà en place (Etienne Dolet, Horace Cardon, Guillaume Rouillé,…). Le travail fut long et complexe car il fallait identifier les co-propriétaires et solliciter leur accord, demander des autorisations administratives nécessaires de la part de la Mairie de Lyon, des architectes des monuments historiques, du Ministère de la culture… le tout dans un secteur classé patrimoine UNESCO. L’ensemble de cette opération a pris sept ans. Un circuit des imprimeurs incluant les de Tournes, Sébastien Gryphe, la famille de La Porte, Aimé De La Roche, Mathieu Husz, a ainsi été conçu puis proposé aux visiteurs sous forme d’un dépliant. Les plaques ont été réalisées par le calligraphe-lapicide Roger Gorrindo qui collabore avec le Musée depuis de nombreuses années.

Dans le même état d’esprit nos Amis ont rédigé deux ouvrages sur les imprimeurs lyonnais de la Renaissance : un premier en format poche, le deuxième plus complet et bilingue français-anglais, en collaboration avec un éditeur lyonnais spécialisé.

La visite du Musée nécessitant des explications techniques complètes nous avons fait réaliser six vidéos par un studio, avec l’aide des professionnels du Musée : linotype, fonte de caractères, gravure sur bois, lithographie préparation et impression, taille douce.

Depuis de nombreuses années, les AMIS organisent huit conférences gratuites par an portant sur une grande diversité de sujets proches de l’imprimerie et du graphisme. Présentées par de grands professionnels elles rassemblent de 70 à 100 auditeurs une fois par mois et sont disponibles en écoute différée sur le site web des Archives municipales qui accueillent les conférences (le Musée de l’imprimerie n’étant pas doté d’une salle appropriée). Nous avons, par exemple, ces deux dernières années, traité des couvertures illustrées au XIXe, des affiches du Musée de Toulouse, de l’impression pour aveugles, du ‘dictionnaire de Trévoux’, etc.

Plus-value intellectuelle

Les contributions des Amis du Musée ne sont simplement d’ordre financier ou logistique. Les Amis apportent aussi une plus-value intellectuelle.

En 2014 lors de la refonte de la collection permanente, deux Amis anglophones ont traduit l’ensemble des panneaux d’explication et cartels : un travail très important non seulement par son volume mais aussi en raison des contraintes techniques qu’impose un tel exercice. Car ces documents sont très souvent destinés à être lus par des visiteurs dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. Il s’agit donc de traduire dans un anglais limpide, accessible à tous. Les nombreuses remarques des visiteurs sont le témoignage éloquent de leur réussite. Et l’aventure se poursuit au fil des expositions temporaires qui bénéficient de cartels bilingues qui sont très appréciés par les nombreux étrangers qui visitent le Musée chaque année.

(Photo: Bibliothèque nationale de France.)

L’apport des Amis peut aller jusqu’aux recherches bibliographiques très pointues. Le premier livre imprimé à Lyon et daté (1473), est présent dans six bibliothèques en Europe (Londres, Manchester, Turin, Paris, Niort, Grenoble) mais pas dans notre ville. Le Compendium Breve, dont l’auteur est le futur pape Innocent III, rassemble un certain nombre de textes religieux et a connu un grand succès. Un des Amis s’est livré à une étude très poussée sur le sujet : typographie, mise en pages, reliure, anomalies diverses de fabrication. Des comparatifs ont été réalisés en compulsant tous les exemplaires et/ou des numérisations haute définition.

Inventorier, classer et parfois trouver une pépite ! C’est ce qu’accomplit une équipe d’Amis, toutes les semaines, parmi les archives du Musée. En renfort du Musée nos Amis « plongent » dans une masse incroyable de documents non encore ou partiellement inventoriés : par exemple le fonds René Ponot et ses 50 mètres linéaires de boîtes à archives contenant chacune des centaines de documents; les 3 000 ex-libris reçus en don de la part d’un marchand d’art et collectionneur lyonnais ; la collection d’affiches illustrées des années 1960 et 1970 qui a été donnée au Musée par un graphiste-collectionneur lyonnais devenu, trente ans plus tard un membre fidèle des Amis ; ou encore, les innombrables papiers du fondateur du Musée, Maurice Audin.

Une permanence hebdomadaire permet à un groupe d’une douzaine de personnes de passer en revue nos actions, les projets, les trouvailles, etc. Le directeur vient fréquemment nous faire part de la vie du Musée et de son environnement ; il nous tient au courant du présent et du futur, sans langue de bois et notre réactivité répond à sa franchise. C’est toujours un grand moment.

Pour nos membres nous organisons évidemment des visites guidées de toutes les expositions au Musée ; nous leur proposons aussi des visites d’autres lieux en résonance avec l’imprimerie et le graphisme, par exemple la Bibliothèque municipale de Lyon, où nous profitons régulièrement de présentations par leurs experts de belles et rares œuvres sorties des réserves. Dans le même esprit nous avons invité nos membres à des visites aux archives départementales et municipales et à des bibliothèques spécialisées à Lyon.

Cependant, les sorties que nous organisons ne sont pas limitées à Lyon.  Nous avons accompli de beaux voyages en car, au Musée Gutenberg à Fribourg, au Musée Champollion à Figeac, (incorporant un arrêt à Conques), à la Bibliothèque inguimbertine à Carpentras (où nous avons également visité la plus vieille synagogue de France), au Centre national du costume à Moulins, à la Collection Bodmer à Genève. Des membres de l’équipe du Musée de l’imprimerie nous ont rejoints pour certaines de ces visites qui créent ainsi de belles opportunités de souder les relations entre les Amis et le personnel.

Notre association a 170 adhérents, ce qui est modeste comparé à des structures brillantes de plusieurs milliers. Notre approche est humble, nous sommes au service de notre Musée, les cotisations lui sont quasi intégralement dédiées (sauf nos indispensables frais de gestion).

Notre activité est « foisonnante » et, vue de l’extérieur, non spectaculaire. Si l’on zoome sur ce qui se passe en interne, la synergie est cependant impressionnante : respect mutuel des rôles de chacun, l’association a son fonctionnement démocratique… dont le directeur du Musée est membre de droit et adhérent assidu. L’institution a ses règlementations et nous n’avons pas à nous ingérer dans sa démarche scientifique et administrative ! Au fil des années, malgré le renouvellement des dirigeants, il s’est créé une culture commune, une confiance.

Nos directeurs ont compris l’utilité de leur association d’Amis : représentative du public, forte valeur ajoutée culturelle, souvent anciens chercheurs et enseignants, industriels… il sont des auditeurs attentifs des employés et cadres du musée. Le directeur peut confier ses projets, s’exprimer librement bénéficier d’un « effet-miroir » irremplaçable. Mais tout cela n’aurait pas été possible sans esprit d’ouverture et climat favorable de l’ensemble de l’entreprise.

Alain Echenay