Explorer le patrimoine de l’imprimerie en théorie et en pratique …à Birmingham

La conférence annuelle de l’association des musées européens de l’imprimerie (AEPM) s’est tenue cette année à Winterbourne House & Garden, de l’université de Birmingham, organisée par le Centre for Printing History and Culture (CPHC). Les membres du conseil d’administration de l’AEPM chargés de coordonner l’événement se sont réuni(e)s presque tous les mois en visioconférence avec nos hôtes pour définir le programme, établir le budget et participer à la communication.

Du mercredi 3 au vendredi 5 Septembre 2025, plus d’une soixantaine de participants se sont réunis pour partager et échanger autour des sujets proposés dans le programme (que vous trouverez à la fin de cet article). Le nombre de participants a atteint le maximum imposé par la configuration du lieu d’accueil (une soixantaine de personnes) plus d’un mois avant l’événement, montrant son succès.

L’événement a une nouvelle fois rassemblé des personnes aux horizons très variés, d’autant qu’il a été organisé sur la base d’un appel à contributions. De nouveaux réseaux, notamment britanniques, et des participants venus de Scandinavie, du Benelux, de plusieurs pays de l’Est de l’Europe, mais aussi quelques non-européens (deux jeunes femmes de Hong-Kong, un australien et un néo-zélandais) se sont réunis à cette occasion. Chaque année, de nouvelles personnes participent, avec une proportion croissante de jeunes, notamment trentenaires, et de femmes. Reflet de cette diversité, l’AEPM réunit à la fois des professionnels des musées de l’imprimerie, des chercheurs spécialistes du livre et de la typographie, des collectionneurs de machines, mais aussi de plus en plus de designers et graphistes.

Cette année, le thème—Exploring printing heritage in theory and in practice avec comme sous-titre la relation entre l’histoire de l’imprimerie et les sites patrimoniaux qui conservent les traces matérielles de l’imprimerie—présageait un événement plus académique, centré sur la recherche et la collaboration multidisciplinaire, et la qualité des interventions était au rendez-vous.

Des projets de recherche passionnants

Plusieurs chercheurs affiliés à des universités européennes ont présenté leurs projets, qui visent principalement à documenter les procédés anciens d’impression par l’analyse de collections et des expérimentations pratiques. Ces recherches, très précises et approfondies, donnent à voir des outils et des projets inspirants et variés.

Des bases de données

Trois groupes de personnes ont présenté leurs bases de données pour différents objectifs : informer les praticiens de l’imprimerie sur les outils disponibles, rassembler des résultats de recherche et inventorier les collections d’un musée.

Nous avons eu notamment le plaisir d’écouter Anna Bayadova, chercheuse à l’université de Tours, qui a parlé du projet TypoReF, qui étudie les conditions de production, de circulation et des acteurs de la typographie en France à la Renaissance. La base contient principalement des informations sur les ornements et les polices de caractères présents dans les livres anciens. Alimentée par les membres de l’équipe, elle s’appuie sur une bibliographie, d’autres bases (ex. Gallica), et des analyses physiques de caractères typographiques provenant de musées (ex. Plantin-Moretus à Antwerp, Tessé au Mans)… Leur base de données contient actuellement entre 20 000 et 30 000 occurrences d’ornements gravés et 200 à 300 polices de caractères différentes.

Pawel Schulz, designer graphique et recrue temporaire du musée Typa à Tartu en Estonie, a créé pour les besoins internes de l’équipe une base de données recensant les caractères mobiles en bois et en métal disponibles dans leur collection. Son travail très poussé a permis de concevoir un outil à plusieurs entrées, que ce soit par l’alphabet utilisé (spécificité estonienne), la famille de polices d’écriture, la période, les livres imprimés correspondants et leurs éditeurs…

Ces projets ont fait écho à une problématique soulevée précédemment concernant le déplacement et la réorganisation des collections. Nous pouvons citer, par exemple, le cas de Heike Schnotale, jeune typographe et graphiste qui a travaillé avec l’atelier de typographie Offizin-Haag Drugulin (Dresde) et, suite à la fermeture de ce dernier, continue de travailler sur ses collections aujourd’hui conservées Museum für Druckkunst à Leipzig.

Des projets de recherche aux multiples disciplines

À la fin de l’événement, et sur un format interactif, nos hôtes nous ont présenté leur projet de recherche, qui repose sur l’analyse des poinçons fabriqués et utilisés par John Baskerville (1707-75). Une équipe composée d’historiens de la typographie, des scientifiques, des photographes, des forgerons, bijoutiers, etc., et affiliée aux universités de Birmingham et Cambridge, étudie les traces présentes sur ces poinçons, afin de documenter les procédés de fabrication et d’impression de cette figure essentielle de l’imprimerie britannique.

À la croisée de l’art et de la recherche

Graciela Machado, professeure associée aux Beaux-Arts de Porto, nous a présenté un projet de recherche expérimentale passionnant, proposant de reconstituer différentes techniques oubliées de gravure photomécanique, comme la zincography, la papyrographie (technique de litho mais en utilisant des blocs de carton-pâte), ou encore le calotype… Accompagnée de laboratoires, des praticiens et professionnels de musée (notamment du musée TYPA), ainsi que des étudiants en arts, elle a adopté une approche pratique pour comprendre, informer et valoriser ces procédés d’impression, notamment par des publications. Ensuite, les étudiants peuvent s’emparer de ces techniques et les détourner dans une démarche artistique.

Des professionnels et musées de l’imprimerie dynamiques

Le projet « Type faces » au Musée de l’industrie de Gand

Marie Kympers et Armina Ghazaryan ont mené un projet pédagogique avec des étudiantes en graphisme de la LUCA School of Art (Gand) autour des collections de caractères en bois du Musée. Au cours de plusieurs séances, les étudiantes ont choisi une police de caractères, réalisé des impressions et analysé le design afin d’en apprendre davantage sur l’histoire et les techniques de la typographie. Elles ont ensuite créé une variante numérique en faisant attention aux espacements, aux modulations… Ce projet a donné lieu à une exposition Type faces, ouverte jusqu’en février 2026, et souligne l’importance de l’histoire de l’imprimerie dans le contexte numérique actuel. Le Musée, soutenu par la Ville de Gand, présente des collections associées à l’industrie, pas uniquement à l’imprimerie (notamment la filature). Il emploie 30 personnes, dont certaines à temps partiel, ainsi que 20 guides en vacation, pas nécessairement tous spécialisés dans l’histoire de l’imprimerie.

Recherches et évolutions au Musée Plantin-Moretus à Anvers

Joost Depuydt, conservateur des collections typographiques et techniques au musée Plantin-Moretus, a présenté les collections incroyablement riches du musée et les projets de recherches associés : environ 16 000 matrices, 200 moules à arçons, 4,500 poinçons, des livres et des manuscrits… Grâce à une subvention de l’État de Flandres pour une durée deux ans, le Musée lance une campagne de numérisation des caractères mobiles et des ornements, ce qui permettra leur étude à l’échelle internationale, ainsi que des projets artistiques. À partir de l’été prochain, le Musée sera réaménagé et rouvrira en décembre avec une nouvelle scénographie… pour accueillir la prochaine conférence annuelle de l’AEPM, probablement la deuxième semaine. Ce musée impressionnant, héritier de l’exceptionnel patrimoine des Plantin-Moretus, soutenu par la ville et l’État, emploie 25 personnes dont 6 conservateurs, ainsi que 25 agents de sécurité.

Des fermetures et rénovations, des nouveaux musées

Il y a beaucoup d’évolution en ce moment pour les musées de l’imprimerie : des transferts de collections, des travaux, la refonte des expositions permanentes, et l’ouverture de nouveaux musées !

— Le musée Gutenberg de Mayence est actuellement fermé : les collections ont été transférées et l’ancien bâtiment a été démoli. Le nouveau va être reconstruit au même endroit et sera associé à des bureaux, des archives et un atelier pratique, ainsi qu’un restaurant affilié au musée. En attendant la réouverture, le Musée continue l’engagement des publics par des ateliers hors les murs.

— Laurine Sandoval et l’équipe de l’Espace Europe Gutenberg ont le projet ambitieux d’associer les industries graphiques, une agence de communication, des imprimeurs d’aujourd’hui, des ateliers d’artistes/artisans, et un musée de l’imprimerie dans une ancienne usine à réhabiliter à la périphérie de Strasbourg. Ce pôle territorial et campus créatif, appelé Agoratrium, réunit pour le moment 11 acteurs différents et devrait bénéficier des subventions de la ville et de l’Eurométropole. L’objectif est de répondre à un appel à projets et ouvrir ce lieu en 2030.

Quelques projets de l’AEPM

— Quant à l’AEPM elle-même, elle envisage de procéder à la mise à jour de son site internet. Elle a sollicité Simon Malz, webmaster ayant notamment travaillé avec le musée Klingspor à Offenbach, et ce dernier a proposé un design pour la page d’accueil, le menu de navigation et l’arborescence des pages. D’autres chantiers prévus concernent l’ergonomie du World Hand Press Database, l’automatisation de la gestion des adhésions et de la comptabilité et l’amélioration du fonctionnement générale du site.
— L’association ne manque pas de propositions de la part de ses membres pour les prochaines conférences ! Voici le calendrier tel qu’il a été présenté lors de l’assemblée générale :
2026 : Musée Plantin-Moretus (Antwerp, Belgique) en décembre,
2027 : Atelier UPOPAEPOP et l’Université Hradec Králové (République Tchèque),
2028 : Les Mille Univers, Bourges (France) préssenti pour le mois de Septembre,
2029 : Moulin à papier de Comana (Roumanie) ?

Des découvertes inattendues


La bibliothèque Cadbury de l’université de Birmingham

Ce lieu de recherche abrite une magnifique collection de livres rares, manuscrits, archives, photographies… Voici quelques livres sélectionnés que nous avons pu observer et manipuler : des ouvrages avec des dorures, des papiers marbrés, des illustrations en chromolithographie, des anecdotes amusantes, des références aux grands imprimeurs britanniques, etc…


La Winterbourne Press et la Typographical Library

La Winterbourne Press est une petite officine conviviale qui a vu le jour en 2012 lorsque Lee Hale, directeur de Winterbourne, a récupéré et fait restaurer par des bénévoles plusieurs machines provenant de la défunte Flat Earth Press. Comme c’est souvent le cas, d’autres machines ont suivi et l’atelier est désormais utilisé à des fins éducatives ainsi que pour des commandes à petite échelle. Sa collection comprend une presse Cope & Sherwin Imperial de 1837, une Crown Arab de 1911, une presse à épreuves Thompson « Gem » et une presse à platine verticale Heidelberg de 1968. Winterbourne Press a également reçu en don une importante collection de clichés d’impression ayant appartenu à la Birmingham Archaeological Society—par le biais du Birmingham Museums Trust—et une autre collection de clichés en provenance d’une entreprise d’éclairage basée à Birmingham. Ceux-ci seront utilisés à l’avenir pour créer des cartes de vœux, des affiches et d’autres produits dérivés.

Winterbourne collectionne également des archives liées aux industries graphiques—en particulier celles associées aux petites presses indépendantes—ainsi que des livres sur l’histoire et la pratique de la typographie. Grâce au Centre for Printing History and Culture elle a pu accueillir la collection créée par Caroline Archer-Parré, codirectrice du Centre et professeure de typographie à l’université de Birmingham City—qui a été, par ailleurs, le cerveau derrière l’organisation de la conférence de l’AEPM de cette année. Et, très récemment, la Typographical Library a accueilli la partie technique des archives du longtemps conservateur de la célèbre St Bride Printing Library, James Mosley, qui nous a quitté tout récemment. Plusieurs ouvrages exceptionnels de sa collection étaient exposés lorsque notre visite de la Cadbury Library à laquelle James avait légué la partie principale de sa bibliothèque typographique.


Une excursion improvisée à Nomad Letterpress (Cheltenham)

À la fin de l’événement, quelques membres de l’association ont proposé de nous emmener dans un petit village à une heure de Birmingham, pour visiter une maison d’édition qui continue à imprimer avec des techniques traditionnelles : une Monotype pour la composition, quelques presses à bras métalliques et à arrêt de cylindre. Leur collection de matrices, de moules à arçons et de matrices est impressionnante, et trois personnes ont les connaissances nécessaires pour faire de la composition mécanique et fondre des caractères, afin de fournir ceux qui le souhaitent. Cette entreprise continue à imprimer des livres pour des commandes ou partenariats particuliers.

Une journée porte-ouvertes était organisée ce jour-là, réunissant des artistes graveurs, des illustrateurs, des libraires, des relieurs, des papetiers, etc. Un événement et un lieu au charme britannique, qui montre que la communauté de l’imprimerie et des arts graphiques a encore de beaux jours devant elle…

En conclusion, la conférence annuelle de l’AEPM, organisée cette année par les centres de recherche associés à l’université de Birmingham, a été un événement dense, riche en interventions de qualité, en questionnements intéressants, et en découvertes étonnantes : une occasion de renforcer son intérêt pour de nouveaux domaines. L’AEPM a la capacité de réunir en son sein des personnalités très différentes, aux horizons très variés et aux multiples projets, qui partagent avec beaucoup de curiosité et d’enthousiasme leur intérêt pour l’imprimerie et les arts graphiques. Sous le signe de l’ouverture d’esprit et du partage, cet événement a une nouvelle fois montré la diversité et le dynamisme des professionnels engagés dans la valorisation de ces patrimoines.

Lise Morisseau
Atelier-musée de l’imprimerie
Malesherbes, France


Vous pouvez trouver le programme complet et des informations sur les intervenant(e)s ICI (in English).